62.
L’adieu de Leesey à son père avait bouleversé même les plus endurcis des inspecteurs de la brigade. S’emparer du tueur en série avant qu’il frappe à nouveau était devenu une nécessité absolue pour chacun d’entre eux. L’équipe au complet avait passé plusieurs fois en revue tous les éléments recueillis au cours de l’enquête.
Le mercredi matin, ils se trouvaient à nouveau réunis dans le bureau de Larry Ahearn.
Gaylor faisait son rapport. Le récit de Benny Seppini s’était vérifié. Il fréquentait Anna Ryan, qui avait quitté son mari, Walter Ryan, un sergent de police dont le penchant pour l’alcool était connu autant que son caractère violent. Anna Ryan avait confirmé qu’elle s’était confiée à Benny, le lundi soir, deux semaines auparavant, et lui avait dit qu’elle avait peur de son mari. En apprenant que Benny racontait avoir fait le guet dans sa voiture devant son immeuble, elle avait souri : « C’est Benny tout craché. »
« Ce qui ne prouve en rien que Benny n’ait pas reçu un appel urgent de DeMarco cette nuit-là, fit remarquer Ahearn. Mais nous ne le saurons jamais. »
Il se pencha sur ses notes. Depuis qu’ils avaient pris Nick DeMarco en filature, les inspecteurs n’avaient rien remarqué d’inhabituel. Ses conversations téléphoniques mises sur écoute ne concernaient pratiquement que ses affaires. Plusieurs provenaient d’un agent immobilier et confirmaient que son appartement de Park Avenue était bien en vente. Il avait même reçu une offre à laquelle il disait vouloir réfléchir. Il avait essayé de joindre Carolyn MacKenzie une demi-douzaine de fois, mais son téléphone portable était manifestement éteint. « Nous savons qu’elle était en route pour Martha’s Vineyard, dit Ahearn. DeMarco l’ignorait et il s’inquiétait sérieusement à son sujet. »
Ahearn leva les yeux pour s’assurer de l’attention de ses hommes. « Carolyn MacKenzie est allée rendre visite à l’ex-petite amie de son frère, le Dr Barbara Galbraith, mais elle ne s’est pas attardée. Le mari n’était pas là. Ensuite, quand toute la famille est arrivée à l’hôtel où Mlle MacKenzie était descendue, celle-ci est partie précipitamment, a regagné New York en voiture. Elle n’a reçu aucun appel à l’hôtel. Elle n’a pas utilisé son téléphone portable depuis qu’elle a quitté la ville lundi après son entrevue avec les Kramer.
– Elle était en larmes en les quittant. Nous avons une photo d’elle au moment où elle sortait de l’immeuble. Puis un type l’a suivie jusqu’à sa voiture. Voici une photo qui le montre avec elle. » Ahearn reposa ses notes et tendit les photos à Barrott. « Nous nous sommes renseignés. C’est un dénommé Howard Altman, il travaille pour Derek Olsen, propriétaire de plusieurs petits immeubles qu’il loue par appartements, y compris celui qu’habitait Mack. Il est entré au service d’Olsen deux mois après la disparition de Mack. »
Les photos circulèrent avant de revenir sur le bureau d’Ahearn. « Nos hommes sont retournés voir les Kramer lundi après-midi. » La voix d’Ahearn reflétait une immense lassitude. Il entendait sans cesse le cri de Leesey : « Non, pitié, non… » Il s’éclaircit la voix : « Les Kramer ont dit à Carolyn MacKenzie que Lil croyait avoir vu Mack à la messe le jour où il a laissé la lettre, que c’était un assassin et qu’elle ferait mieux de les laisser tranquilles. Mlle MacKenzie a éclaté en sanglots et elle est partie en courant.
– À notre première rencontre, dit Gaylor, Lil Kramer n’a pas mentionné qu’elle avait vu Mack à l’église. Elle ne portait pas ses lunettes à double foyer ce jour-là et ne pouvait donc pas être sûre que c’était lui. Puis le lundi après-midi elle a déclaré qu’elle était finalement convaincue qu’il s’agissait bien de Mack. Vous y croyez ?
– Je ne crois rien de ce que racontent les Kramer, dit sèchement Ahearn, mais je ne pense pas que ce Gus soit un tueur en série. » Il se tourna vers Barrott. « Répétez-leur ce que Mlle MacKenzie vous a dit ce matin dans le garage. »
Les cernes sombres sous les yeux de Roy Barrott s’étaient creusés. « Nous avons eu une petite explication. Elle a juré que son frère était innocent, que le fait que Leesey ait prononcé son nom ne signifiait rien, qu’elle y avait peut-être été forcée. Elle a dit qu’elle allait éplucher chacune de nos déclarations et que si elle y trouvait la moindre phrase insinuant que son frère était un assassin elle nous poursuivrait en justice jusqu’à la fin des temps. » Il s’interrompit, se frotta le front : « Elle m’a dit qu’elle était avocate, qu’elle s’y connaissait et qu’elle ne tarderait pas à nous le montrer. Elle a ajouté que si son frère était coupable, elle serait la première à le faire arrêter avant qu’il termine dans une fusillade, et qu’elle se démènerait ensuite pour organiser sa défense en prouvant qu’il était atteint de démence.
– Vous la croyez ? » demanda Chip Dailey, un des nouveaux inspecteurs.
Barrott haussa les épaules. « Je crois qu’elle est persuadée qu’il est innocent, oui. Je crois aussi qu’elle n’a aucun contact avec son frère. Si c’est lui qui a téléphoné chez sa mère en utilisant le portable de Leesey, ce n’est qu’une autre de ses lubies. »
Le téléphone d’Ahearn sonna. Son expression changea aussitôt : « Assurez-vous qu’il n’y pas d’erreur possible », dit-il. Après avoir reposé l’appareil, il expliqua : « Lil Kramer a fait deux ans de taule à l’âge de vingt-quatre ans. Elle travaillait pour une vieille dame. À la mort de sa patronne, une grande partie de ses bijoux ont disparu. Lil a été accusée de les avoir volés.
– A-t-elle avoué ? demanda Barrott.
– Jamais. Peu importe. Elle a été condamnée au procès. Je veux qu’on l’amène ici avec son mari, tout de suite. » Il jeta un regard autour de lui. « Bon. Vous connaissez tous votre mission. » Ses yeux s’arrêtèrent sur Barrott qui dormait presque debout. « Roy, rentrez chez vous, vous avez besoin de repos. Vous êtes vraiment convaincu que Carolyn MacKenzie ne communique pas avec son frère ?
– Oui.
– Dans ce cas, ne la faites plus suivre. Nous n’avons pas assez d’éléments pour mettre les Kramer en garde à vue, mais dès qu’ils seront sortis d’ici je veux qu’on les prenne en filature. »
Comme ses hommes quittaient la pièce l’un après l’autre, Ahearn leur fit part d’une réflexion qu’il avait gardée pour lui jusque-là. « J’ai écouté cet enregistrement une centaine de fois. Cela peut paraître insensé, mais nous avons affaire à un déséquilibré. On entend Leesey crier, puis un halètement, un gargouillement et il coupe la communication. Nous ne l’entendons pas réellement mourir.
– Vous pensez sérieusement qu’elle est encore en vie ?
– Je pense que le type auquel nous avons affaire serait sans doute capable de ce genre de petit jeu. »